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A PIED VERS ROME

Écrit par Bertrand Lemaire Dimanche, 10 Avril 2022 00:00

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A PIED VERS ROME

L’évêque de Poitiers, votre protecteur d’hier, vous fait donc parvenir ce billet d’expulsion !

Je suis sous le choc de devoir quitter sans délai ce premier champ d’apostolat que fut pour moi la ville de Poitiers avec les pauvres, Marie Louise Trichet, Montbernage, les quartiers populaires ou plus aisés. Partout j’avais tenté de labourer le terrain en profondeur. Je vois, là encore, dans cette décision de l’évêque un signe de la Providence et aussitôt je reprends mon bâton de pèlerin, mon bréviaire et me voici sur la route, sans regarder en arrière.

Vers quels cieux cette nouvelle route vous conduira-t-elle ?

Depuis six ans que je suis prêtre, je n’ai pas encore vraiment trouvé ma voie. L’idée me vient d’aller consulter le Pape pour approfondir une intuition que j’avais depuis longtemps derrière la tête : aller convertir les Iroquois du nord Canadien et pourquoi ne pas y donner ma vie pour le Christ. Rome est à 400 lieues de Poitiers, je décide donc de m’y rendre à pieds, en mendiant mon pain et le couvert. Je laisse Marie Louise chez les pauvres de l’hôpital et frère Mathurin chez les jésuites de Ligugé. Je découvre par hasard un étudiant espagnol qui se propose de m’accompagner jusqu’à la ville éternelle.

Mendier votre pain ! A la rigueur… mais un minimum d’argent en cas d’extrême nécessité semble indispensable ?

J’avais effectivement 18 deniers au fond de ma poche et mon compagnon espagnol disposait de 30 sous. Nous nous en sommes débarrassé bien vite au profit des premiers pauvres rencontrés. « Notre Père du Ciel s’occupera de nous » lui ai-je dit pour calmer son étonnement. De sanctuaire en sanctuaire nous progressions à grandes enjambées. Nous avons traversé Lyon, les cols des Alpes dans la neige, Turin, Bologne, Assise. En ce printemps 1706 la guerre de sécession d’Espagne battait son plein, spécialement dans le nord de l’Italie. La présence des armées semait la peur, la méfiance et l’insécurité. Pour tout bagage j’avais mon bréviaire, un crucifix, mon bâton de pèlerin surmonté d’une petite statue de la sainte Vierge et bien entendu mon chapelet que nous égrenions régulièrement avec mon compagnon de voyage.

Côté intendance comment cela s’est-il passé ?

Il est vrai que chaque jour renouvelait la faim, la soif, le souci de trouver un abri pour dormir. Nous mangions « à la fortune de la Providence ». De temps en temps une âme charitable nous offrait un bon repas, mais le plus souvent c’était des rebuffades sans pitié ou des restes bien maigres après nos longues marches. Souvent nous couchions sous le porche des églises ou dans les abris insalubres des hospices, à d’autres occasions c’était à la belle étoile. Très rarement il m’est arrivé de devoir accepter d’utiliser les honoraires de messes pour survivre et pouvoir continuer notre pèlerinage.

Vous êtes-vous accordé quelques journées de repos pour refaire vos forces ?

Sous le soleil de mai, nous avons fait un petit stop à Bologne pour nous recueillir au tombeau de saint Dominique puis à Notre Dame de Lorette pour méditer le mystère de l’incarnation ; vous savez que la tradition veut que la « Sancta Casa » soit, à Lorette, la maison de Marie où elle reçut la visite de l’ange Gabriel. Cette maison aurait été transportée par les anges. A plusieurs reprises j’y ai célébré la messe avec une très grande émotion au point que nous y avons séjourné pendant quinze jours. En passant par Assise, je chante le cantique des créatures, nous approchons de Rome dont nous apercevons enfin le dôme de saint Pierre. Les larmes me coulent sur les joues, je me prosterne la face contre terre puis ôtant mes chaussures je termine la route pieds nus, en priant intensément. (Extraits du livre « En haute mer »)


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