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Une Miséricorde en chemin

Bertrand Lemaire

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Tweet La Plenitude Du Pardon

Le Pape François tente de nous expliquer ce qui conserve pour nous, cependant, l’aspect voilé d’un mystère. Les limites de notre esprit humain peuvent être conditionnées par ce "tout ou rien" que représente soit la justice d’un côté, soit la miséricorde de l’autre.

Comment Dieu peut-il être à la fois totalement juste et totalement miséricordieux? Plus précisément, comment pouvons-nous ne pas abuser, nous-mêmes, de l’une ou l’autre de ces deux prérogatives divines? Comment progresser sur cette véritable ligne de crête? Le jansénisme nous a montré les excès de ceux ne considèrent que la justice ; la voix de notre Pape François vient opportunément rectifier le tir en montrant que "si Dieu s’arrêtait à la justice, il cesserait d’être Dieu" ...

21. La miséricorde n’est pas contraire à la justice, mais illustre le comportement de Dieu envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se repentir, de se convertir et de croire. Ce qu’a vécu le prophète Osée nous aide à voir le dépassement de la justice par la miséricorde. L’époque de ce prophète est parmi les plus dramatiques de l’histoire du peuple hébreu. Le Royaume est près d’être détruit ; le peuple n’est pas demeuré fidèle à l’alliance, il s’est éloigné de Dieu et a perdu la foi des Pères. Suivant une logique humaine, il est juste que Dieu pense à rejeter le peuple infidèle : il n’a pas été fidèle au pacte, et il mérite donc la peine prévue, c’est-à-dire l’exil. Les paroles du prophète l’attestent : "Il ne retournera pas au pays d’Égypte ; Assour deviendra son roi, car ils ont refusé de revenir à moi" (Os 11, 5). Cependant, après cette réaction qui se réclame de la justice, le prophète change radicalement son langage et révèle le vrai visage de Dieu : "Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer" (11, 8-9). Commentant les paroles du prophète, saint Augustin écrit : "Il est plus facile pour Dieu de retenir la colère plutôt que la miséricorde". C’est exactement ainsi. La colère de Dieu ne dure qu’un instant, et sa miséricorde est éternelle.

Si Dieu s’arrêtait à la justice, il cesserait d’être Dieu ; il serait comme tous les hommes qui invoquent le respect de la loi. La justice seule ne suffit pas et l’expérience montre que faire uniquement appel à elle risque de l’anéantir. C’est ainsi que Dieu va au-delà de la justice avec la miséricorde et le pardon. Cela ne signifie pas dévaluer la justice ou la rendre superflue, au contraire. Qui se trompe devra purger sa peine, mais ce n’est pas là le dernier mot, mais le début de la conversion, en faisant l’expérience de la tendresse du pardon. Dieu ne refuse pas la justice. Il l’intègre et la dépasse dans un événement plus grand dans lequel on fait l’expérience de l’amour, fondement d’une vraie justice. Il nous faut prêter grande attention à ce qu’écrit Paul pour ne pas faire la même erreur que l’Apôtre reproche à ses contemporains juifs : "En ne reconnaissant pas la justice qui vient de Dieu, et en cherchant à instaurer leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. Car l’aboutissement de la Loi, c’est le Christ, afin que soit donnée la justice à toute personne qui croit" (Rm 10, 3-4). Cette justice de Dieu est la miséricorde accordée à tous comme une grâce venant de la mort et de la résurrection de Jésus- Christ. La Croix du Christ est donc le jugement de Dieu sur chacun de nous et sur le monde, puisqu’elle nous donne la certitude de l’amour et de la vie nouvelle.

Au fil de la semaine :

La lutte du Seigneur n’est pas contre les hommes mais contre le démon (cf. Ep 6, 12), ennemi de l’humanité. Mais le Seigneur "passe au milieu" de ceux qui cherchent à l’arrêter et va son chemin (cf. Lc 4, 30). Jésus ne combat pas pour consolider un espace de pouvoir. S’il brise les clôtures et remet en cause les sécurités, c’est pour ouvrir une brèche au torrent de la miséricorde qu’il désire déverser sur la terre, avec le Père et l’Esprit. Une miséricorde qui avance de mieux en mieux : elle annonce et apporte quelque chose de nouveau : elle guérit, elle libère et elle proclame l’An de Grâce du Seigneur. La miséricorde de notre Dieu est infinie et ineffable ; et nous exprimons le dynamisme de ce mystère comme une miséricorde "toujours plus grande", je dirais, une miséricorde en chemin, une miséricorde qui cherche tous les jours le moyen de faire un pas en avant, un petit pas en avant, avançant sur la terre inconnue, où règnent l’indifférence et la violence.

Telle a été justement la dynamique du bon Samaritain qui « pratiqua la miséricorde » (cf. Lc 10, 37) : premier pas, il s’est ému, puis il s’est approché du blessé, a pansé ses blessures, l’a porté à l’auberge, s’est arrêté cette nuit-là et a promis de revenir payer ce qui aurait été dépensé en plus. C’est la dynamique de miséricorde, qui relie un petit geste à un autre, et, sans offenser aucune fragilité, se répand un peu plus dans l’aide et dans l’amour.

Chacun de nous, regardant sa propre vie avec le regard bon de Dieu, peut exercer sa mémoire et découvrir comment le Seigneur a fait preuve de miséricorde avec nous, comment il a été beaucoup plus miséricordieux que nous le pensions, et ainsi nous encourager à lui demander qu’il fasse un petit pas en plus, qu’il se montre beaucoup plus miséricordieux à l’avenir. "Fais-nous voir, Seigneur, ta miséricorde" (Ps 85, 8). Cette manière paradoxale de prier un Dieu toujours plus miséricordieux aide à briser les schémas étroits dans lesquels nous enfermons tant de fois la surabondance de son cœur. Cela nous fait du bien de sortir de nos enclos, parce que c’est justement au cœur de Dieu de déborder de miséricorde, [de déborder], répandant sa tendresse, de sorte qu’il en reste toujours, puisque le Seigneur préfère que quelque chose soit perdu plutôt que manque une goutte ; il préfère que les oiseaux mangent beaucoup de graines plutôt que manque une seule graine aux semailles, du moment que toutes ont la capacité de porter du fruit en abondance : 30, 60, et jusqu’à 100 pour un.
Extraits de l’homélie de la messe chrismale du jeudi 23 mars 2016


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