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GRAND SÉMINAIRE DE SAINT SULPICE

Bertrand Lemaire

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Grand Séminaire de Saint Sulpice

Enfin s’ouvrent pour vous les portes du grand séminaire de saint Sulpice ! Un cadre difficile pour un original comme vous ?

Vérifiée ou imaginaire ma réputation est tenace : immense amour des pauvres, affection sans limite pour la Vierge Marie, pratiques des mortifications que certains trouvaient excessives. Dès le premier soir, un «Te Deum» de la communauté a voulu honorer mon arrivée. La règle d’or de ce séminaire était la suivante : « vivre intérieurement de la vie du Christ, la manifester dans notre corps mortel et se mettre sous le regard et à l’école de Marie ».

Quel était votre programme de vie dans ce séminaire ?

Etudier la théologie, apprendre à faire oraison, me plonger dans d’abondantes lectures spirituelles, accueillir les épreuves et découvrir la divine Sagesse. La vie était austère, la nourriture peu abondante et la discipline très stricte. Aucune place pour la fantaisie. Etant parmi les plus démunis et le dernier arrivé, j’ai eu la chance de pouvoir imiter un peu la vie de saint François d’assise : ma cellule était sous les toits, froide l’hiver, surchauffée l’été. Les punaises et les insectes s’y relayaient de jour comme de nuit. L’hiver j’étais pieds nus dans mes sandales.

Faisiez-vous partie des séminaristes qui allaient prendre des cours en Sorbonne ?

Effectivement ils y allaient pratiquement tous, mais personnellement je ne disposais pas des moyens financiers pour y participer. J’avoue que j’en étais satisfait car les principes jansénistes régnaient en maîtres à la Sorbonne, de plus il n’y avait guère de discipline et beaucoup de perte de temps. De ma petite cellule de ce quartier de Vaugirard, je jouxtais la campagne avec les terres cultivées, les bosquets et les moulins à vent. Mon plaisir était la louange, l’oraison, la méditation au point que mon directeur me forçait à raconter des histoires drôles pendant les récréations et temps libres. J’avais bien du mal à retomber sur terre.

Une fois encore ce Louis Marie original et excessif ?

C’est exact ! Il me fallait conjuguer ma grande soif spirituelle avec le cadre d’une vie en collectivité. Mon premier principe était une obéissance absolue à mes directeurs et supérieurs. Cependant je ne pouvais éviter les remarques de ceux qui me disaient que je n’en faisais qu’à ma tête, que je me singularisais, que je substituais mes caprices à la volonté de Dieu. Cela allait jusqu’à rendre perplexes ceux qui devaient me diriger. J’étais souvent méconnu, incompris et méprisé. Ces petites vexations m’apportaient la joie immense de pouvoir imiter le Christ.

Vous échappiez-vous un peu des murs de ce séminaire ?

Bien sûr je sortais souvent, mais ce n’était pas de tout repos ! Un jour, je croise deux jeunes gens qui se querellaient au point de tirer l’épée. A l’étonnement des badauds, je bondis au milieu d’eux en leur montrant un crucifix et je leur demande de rengainer ces épées et d’oublier leurs griefs. Leur colère tombe et ils se séparent. A quelque temps de là, l’un des deux se convertit et entre à saint Sulpice comme séminariste.

Une autre fois, dans le quartier de saint Germain qui était tout proche, je vois des camelots et chanteurs qui débitaient des paroles obscènes. La foule faisait cercle autour d’eux et achetait leurs produits néfastes. Il m’arrivait d’acheter une part importante du stock et après une réprimande publique aux marchands, j’en faisais une destruction exemplaire. Certains ricanaient et je leur disais que je pouvais au moins retarder le mal que je ne pouvais empêcher. (Extraits du livre « En haute mer »)


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