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AVEC SA SŒUR, LA PARISIENNE

Bertrand Lemaire

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Avec sa sœur la Parisienne

De toute urgence on vous informe de la profonde détresse d’une de vos sœurs qui vient de se faire remercier du couvent parisien qui l’avait accueillie.

Quelques mois auparavant j’avais écrit à ma sœur Louise pour lui donner le conseil suivant : « Dieu veut de vous, ma chère sœur, que vous viviez au jour le jour comme un oiseau sur la branche, sans vous soucier du lendemain ». La sachant sur le trottoir parisien, je n’hésite pas un instant et je prends la route à pieds pour lui porter secours, mendiant le gîte et le pain. Je fais un détour par Notre Dame des Ardilliers pour confier ma démarche à Marie, je passe par Angers saluer un de mes anciens directeurs de séminaire qui m’humilie étrangement et ne me reçoit pas. Je file sur Paris à marche forcée. J’arrive dans un état pitoyable, vêtements salis, chaussures déchirées, pieds meurtris, jambes enflées au point que pendant 15 jours j’ai dû me réfugier à l’hôtel Dieu, accueilli par quelques sœurs qui avaient reconnu le séminariste mourant que j’avais été 7 ans plus tôt.

Et votre sœur pendant tout ce temps ?

Je me mets à sa recherche activement et la retrouve enfin, son état est pitoyable, manquant de tout, amaigrie et malade. Je vais aussitôt tirer la sonnette de toutes les relations que j’avais eues pendant mes cinq années de séminaire : mon ami de collège Poullard des Places qui vient de fonder la communauté des pauvres, le supérieur du séminaire de saint Sulpice qui me renvoie hautement sans vouloir ni me parler ni m’entendre, le curé de saint Sulpice chez lequel j’avais servi comme sacristain et catéchiste qui me réserve un accueil glacial. Je rencontre enfin un de mes amis de séminaire qui m’envoie chez les bénédictines du saint Sacrement. La supérieure me propose de venir une fois par jour partager avec un pauvre un modeste repas mais toujours rien pour ma sœur, je pensais alors la renvoyer à Rennes dans notre famille. Au moment de prendre congé de la supérieure, une personne prend pitié de moi et me propose l’argent nécessaire pour rejoindre Poitiers où l’évêque me réclame à cor et à cris. Je demande à cette personne de pouvoir acheter avec cette somme des bas et des souliers pour ma sœur. La supérieure, probablement émue d’une telle détresse, me propose de prendre Louise comme sœur converse puis de faire un essai comme postulante. Elle deviendra ainsi bénédictine du saint Sacrement sous le nom de sœur saint Bernard. A partir de ce jour-là je ne la reverrai plus jamais, j’aurai seulement l’occasion de lui écrire.

Sur votre route encore la croix, la pauvreté, les humiliations. Pour vous c’est toujours l’abandon à la Providence ?

Oui mais nous n’en sommes qu’au début …

Ayant solutionné le problème de ma sœur religieuse, je regagne Poitiers pour retrouver avec joie tous mes pauvres à l’hôpital. Pendant six mois je dois assumer des tracasseries de tous bords, tant et si bien que je suis mis en demeure de partir sans délai, abandonnant tous mes pauvres qui pleuraient de cette séparation. Le Seigneur me poussait de-ci de-là « comme une balle dans un jeu de paume ». A nouveau je reprends la direction de Paris toujours en mendiant et à pieds. A part les bénédictines, je n’ai plus le moindre ami chez qui frapper. Je vais donc m’embaucher à l’hôpital de la Salpétrière pour me rendre utile auprès des malades et vagabonds, ils sont au nombre de 5000. J’y demeure pendant 6 mois, comme l’homme de toutes les besognes. Mais mon attitude devient rapidement une sorte de reproche pour les employés nantis, sortes de mercenaires repus, tant et si bien qu’un matin, je reçois un billet me signifiant mon congé. Les bénédictines me proposent à nouveau le repas quotidien avec les pauvres, je l’accepte volontiers. Pour me loger, la Providence me conduit vers un réduit sous un escalier dans une maison située rue du pot de fer, non loin de Saint Sulpice.

Il y a tout juste la place d’une paillasse et d’une table dans ce lieu sombre et humide. Ce sera mon ermitage en plein Paris. (Extraits du livre « En haute mer »)


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