Avec une certaine naïveté, l’inconnu que vous êtes à Rome, espère une audience privée avec le Pape, rien que cela !
Il est vrai que ma confiance en la Providence est sans limite, surtout dans la « ville éternelle »! … Le Pape que je souhaite rencontrer, s’appelle Clément XI, il me faut donc découvrir quelqu’un qui ait des relations directes avec lui pour obtenir cette audience. Je savais qu’à Rome il y avait une congrégation qui s’appelait les Théatins, ils étaient catéchistes, missionnaires et grands dévots de la Sainte Vierge. Je suis allé tirer leur sonnette pour m’entretenir avec eux de leurs méthodes d’apostolat. J’ai longuement parlé avec le Père Tommasi, un saint homme qui sera d’ailleurs canonisé plus tard. Figurez-vous qu’il était tout simplement le confesseur de Clément XI.
C’était une aubaine à ne pas manquer!
Le Père Thommasi a pu informer le Pape de mon désir et une audience fut fixée pour le 6 juin 1706. J’ai préparé avec soin ce que j’allais lui dire et en latin …. Le grand jour arriva et, en entrant dans le bureau du Pape, j’étais aussi ému que si j’étais aux pieds de Notre Seigneur lui-même. Au terme de ma première phrase en latin, avec une grande bienveillance, il me dit qu’il comprenait bien le français et me mit à l’aise en me parlant très familièrement. J’ai pu lui ouvrir mon âme en lui expliquant les problèmes que je rencontrais avec certains prêtres et évêques, sans oublier toutes les difficultés qui jalonnaient ma route. Je lui ai confié mon désir d’aller convertir les infidèles à l’autre bout du monde avec une préférence pour le grand nord Canadien.
Au terme de notre conversation, sa conclusion fut claire et nette : Vous avez Monsieur, un assez grand champ en France pour exercer votre zèle, n’allez point ailleurs et travaillez toujours avec une parfaite soumission aux évêques dans les diocèses desquels vous serez appelé : Dieu, par ce moyen, donnera bénédiction à vos travaux. Il ajouta « dans vos différentes missions, enseignez avec force la doctrine au peuple et aux enfants, faites renouveler solennellement les promesses du baptême ».
En clair, le Pape vous renvoyait un peu dans vos buts ! L’attitude de certains prêtres et évêques vous incitait à rejoindre les infidèles du grand nord. La réponse a été : rejoignez vos évêques en France et soyez leur obéissant, ce sera la condition de vos succès apostoliques.
Cette leçon me servira jusqu’à mon dernier soupir : si l’on me chasse, j’obéis sur le champ et je vais ailleurs. Avant de me quitter le Pape attache à un crucifix en ivoire que je lui présente, une indulgence plénière pour tous ceux qui le vénèreront au moment de leur mort, Je le fixerai à mon bâton de pèlerin et le cœur en fête je reprends le chemin du retour vers Poitiers.
Même pas un moment pour visiter Rome, son forum, ses églises ?
Mon seul souci a été d’aller me recueillir aux tombeaux des apôtres Pierre et Paul et de vénérer les reliques des saint Martyrs. Mon retour s’est déroulé sous la canicule de l’été, la campagne était brûlée, les ombrages forts rares, peu de fontaines pour me désaltérer, privations continuelles, pire qu’à l’aller : une sorte de martyre ! Mort de faim je me présente un jour dans un presbytère dont le prêtre recevait des amis autour d’un festin plantureux ; me voyant arriver pieds nus, décharné et un peu sale, il me donne une soupe avec ses valets dans la cuisine. Au départ il me demande pourquoi je ne voyage pas à cheval. Je lui ai répondu que cela ne figurait pas dans les coutumes des apôtres. (Extraits du livre « En haute mer »)
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