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La réalité est plus importante que l’idée

Écrit par Bertrand Lemaire Jeudi, 12 Mars 2015 00:00

Bertrand Lemaire

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A lire du §231 au §233 inclus: Evangelii Gaudium "La Joie de l'Evangile"- Exhortation apostolique du Pape François

Pape Francois Enfants Des Rues Manille

Le titre de ce paragraphe rejoint la boussole du Pape François, lors de ses grands voyages.
A deux reprises, au cours de son voyage aux Philippines, le texte de son discours ou de son homélie a terminé au fond de sa poche. Car il avait dans le cœur une autre parole à dire pour tenir compte de la réalité devant laquelle il se trouvait.

Il existe aussi une tension bipolaire entre l’idée et la réalité. La réalité est, tout simplement ; l’idée s’élabore. Entre les deux il faut instaurer un dialogue permanent, en évitant que l’idée finisse par être séparée de la réalité. Il est dangereux de vivre dans le règne de la seule parole, de l’image, du sophisme. A partir de là se déduit qu’il faut postuler un troisième principe : la réalité est supérieure à l’idée. Cela suppose d’éviter diverses manières d’occulter la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les nominalismes déclaratifs, les projets plus formels que réels, les fondamentalismes antihistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse.

Faut-il un code de la route pour évangéliser ? François répond par l’affirmative. Comme pour piloter un véhicule, il y a une logique, surtout une adaptation à toute situation rencontrée. L’idée ne doit pas être déconnectée de la réalité.

L’idée – les élaborations conceptuelles – est fonction de la perception, de la compréhension et de la conduite de la réalité. L’idée déconnectée de la réalité est à l’origine des idéalismes et des nominalismes inefficaces, qui, au mieux, classifient et définissent, mais n’impliquent pas.
Ce qui implique, c’est la réalité éclairée par le raisonnement. Il faut passer du nominalisme formel à l’objectivité harmonieuse. Autrement, on manipule la vérité, de la même manière que l’on remplace la gymnastique par la cosmétique. Il y a des hommes politiques – y compris des dirigeants religieux – qui se demandent pourquoi le peuple ne les comprend pas ni ne les suit, alors que leurs propositions sont si logiques et si claires. C’est probablement parce qu’ils se sont installés dans le règne de la pure idée et ont réduit la politique ou la foi à la rhétorique. D’autres ont oublié la simplicité et ont importé du dehors une rationalité étrangère aux personnes.

Pour tout chrétien, la réalité centrale réside dans le fait suivant : " Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu". La pensée ne peut pas se déconnecter de ce trésor.

La réalité est supérieure à l’idée. Ce critère est lié à l’incarnation de la Parole et à sa mise en pratique: "A ceci reconnaissez l’Esprit de Dieu: tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu" (1Jn 4, 2). Le critère de réalité d’une parole déjà incarnée et qui cherche toujours à s’incarner, est essentiel à l’évangélisation.
Il nous porte, d’un côté, à valoriser l’histoire de l’Église comme histoire du salut, à nous souvenir de nos saints qui ont inculturé l’Évangile dans la vie de nos peuples, à recueillir la riche tradition bimillénaire de l’Église, sans prétendre élaborer une pensée déconnectée de ce trésor, comme si nous voulions inventer l’Évangile. D’un autre côté, ce critère nous pousse à mettre en pratique la Parole, à réaliser des œuvres de justice et de charité dans lesquelles cette Parole soit féconde.
Ne pas mettre en pratique, ne pas intégrer la Parole à la réalité, c’est édifier sur le sable, demeurer dans la pure idée et tomber dans l’intimisme et le gnosticisme qui ne donnent pas de fruit, qui stérilisent son dynamisme.

Et Lo Tedhal dans tout cela ?

Une intuition ; c’est à Damour, en janvier 1976 :
Pendant que ma paroisse vivait les heures les plus infernales de son histoire, pendant que j’enterrais les morts tués à l’arme blanche ou par les obus qui pleuvaient sur nous, pendant que je réconfortais les survivants, et célébrais la messe dans les abris alors que nous étions privés de tout secours, pendant que je préparais les fidèles à offrir leur vie comme martyrs, pendant que je vivais l’abandon le plus total, le dénuement le plus accablant, la misère la plus humiliante, pendant que je vivais une page de l’Evangile, la plus sanglante, celle de l’agonie au Jardin des Oliviers, qu’une voix intérieure, semblable à une intime conviction, à une intuition intelligente et logique, à une psalmodie ininterrompue, à une force dont je soupçonnais l’origine, m’installa dans un état d’âme dont je n’aurais pas été capable avec mes seules forces humaines : la sérénité ou paix intérieure.
La parole qui sourdait alors dans toutes les fibres de mon être était : "Ne crains pas" (Lo Tedhal, en araméen).
Dès lors, j’ai fait de cette exhortation ma devise, et j’ai essayé d’en vivre, non seulement à travers les événements dramatiques de la guerre, mais à chaque instant de mon apostolat. Ces simples mots ont constitué le sujet de mes homélies, de mes chants, de mes conférences, de mes retraites, de mes articles. Ils ont orienté ma manière d’être, d’agir, de réagir. (…)
Toute la spiritualité de Lo Tedhal – Ne crains pas, que j’ai d’abord expérimentée seul, se résume à ce simple raisonnement.
A force de le méditer, je me suis demandé si d’autres personnes, instruites de cette réalité spirituelle de sérénité ancrée sur la parole de Notre Seigneur, ne seraient pas heureuses d’en vivre, et de la faire rayonner par leur manière de se comporter et d’agir dans la vie de tous les jours. (Extraits de : "A la Source de l’Evangile")


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