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A ROUEN, CHEZ SON AMI LE CHANOINE BLAIN

Bertrand Lemaire

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A ROUEN CHEZ SON AMI LE CHANOINE BLAIN

Vous partagez avec le Chanoine Blain une amitié très ancienne, ce qui ne vous empêche pas d’être très différents l’un de l’autre. Votre ami fait valoir sa proximité de l’évêque de Rouen et en tire une certaine notoriété ! Comment se sont passées ces retrouvailles?

J’avoue qu’en entrant dans son bureau, je ne lui faisais guère honneur ! J’étais maigre, sale, vieilli avant l’âge, il eut du mal à me reconnaître. Un tel visiteur lui faisait un peu honte ! Nous ne nous étions pas revus depuis fort longtemps ! De plus, un certain mimétisme avec les pauvres devenus mes familiers au quotidien, avait buriné mon visage. Mon ami Blain fréquentait assidument les relations de son évêque, Monseigneur d’Aubigné. Il était aussi « docteur en Sorbonne, chanoine de la Cathédrale, inspecteur des séminaires et supérieur ecclésiastique des frères de Saint Jean Baptiste de la Salle ». Je nourrissais vraiment l’espoir, en prenant la route pour aller le voir, d’obtenir une aide de sa part pour susciter des prêtres désireux de « missionner » avec moi, mais en le voyant, j’ai vu que ce projet n’était pas possible.

Notre amitié réelle me permit cependant de lui exposer mes désirs pour que cette congrégation de missionnaires puisse prendre corps. Il me confia comme préalable un changement radical de mon attitude d’original, d’excessif, d’ascète, presque de marginal cherchant à se singulariser. Une franche explication me permit de me situer uniquement guidé par mon Maître et ses disciples, tels qu’ils sont décrits dans l’évangile. Je lui ai résumé ma pensée de la façon suivante : « La Sagesse qui convient aux hommes apostoliques est de procurer la gloire de Dieu aux dépens de la leur et de se lancer dans plus d’une entreprise qui étonne d’abord et parfois même scandalise… Lorsque ces hommes d’action sont bien accueillis par le monde, c’est qu’ils ne font pas grand peur à l’enfer ».

Une telle réponse ne pouvait se situer qu’au sein d’une amitié à toute épreuve !

Mon ami Blain ne me suivit pas vraiment dans ce domaine … mais il me fut d’un grand secours pour la mise au point des écoles pour enfants pauvres que je souhaitais ouvrir à La Rochelle. Son grand bon sens et ses relations me permirent des rencontres avec le milieu enseignant, j’en ai tiré grand profit pour la future dimension enseignante de la Congrégation des sœurs de la Sagesse.

J’ai pris congé de mon ami en m’embarquant avec frère Mathurin sur le « coche d’eau » qui traverse la Seine et la remonte jusqu’au village de la Bouille, dans un décor merveilleux. Ce jour-là était un jour de marché regroupant marchands, paysans maquignons, tout cela au milieu des marchandises et du petit bétail. J’entends alors fuser des propos grossiers et des chansons répréhensibles. Comme par réflexe je me mets à genoux et je demande au frère Mathurin de commencer le Rosaire. Cela déclenche une grêle de persiflage et de moqueries, mais nous continuions imperturbables notre premier chapelet. Un calme relatif s’est alors installé et je renouvelle mon invitation et les rires d’éclater à nouveau mais moins forts. A la fin du second chapelet tous acceptent de s’associer à la fin du rosaire. Enfin j’ai pu dans le silence rappeler que nous sommes tous ici-bas des passagers en route vers les rives de l’éternité. Ayant appris cela de la bouche d’une passagère, le chanoine Blain n’a pas été vraiment surpris de cette aventure …

Nous avons poursuivi notre route à pied jusqu’à Nantes, puis Rennes et enfin la Rochelle après un voyage de trois cents lieues ! (Extraits du livre « En haute mer »)


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