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SORTEZ DE POITIERS !

Bertrand Lemaire

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Sortez De Poitiers

De Montbernage au quartier chic, votre mission avait fait le tour de Poitiers. Aviez-vous d’autres projets ?

A vrai dire, près de Montbernage, il y avait le secteur de Saint Saturnin qui n’avait de chrétien que le patronyme ! Le vice y régnait en maître. Des voyous parodiaient mes cantiques et s’en donnaient à cœur joie, allant de bosquet en bosquet où se dissimulaient toutes les perversions imaginables. Chaque soir c’était le rendez-vous des oisifs et des débauchés de la ville de Poitiers. Il y avait là quatre statues ce qui donna le nom du « jardin des quatre figures ».

Seul contre tous dans ce lieu maudit ?

Un soir la nuit tombée j’y suis allé pour prier, un peu comme si j’étais allé à Gethsémani au jardin des oliviers pour accompagner le Christ écrasé par ce monde du péché et du vice. J’y venais après des journées épuisantes au cours desquelles je prêchais, je visitais les malades, je confessais. Je venais là, offrir ma fatigue pour réparer le mal qui se faisait en ces lieux.

L’idée m’est venue d’y attirer d’autres personnes pour s’unir à ma démarche. Petit à petit des fidèles se sont joints à moi, nous récitions le rosaire et même des processions se sont organisées. Un soir au terme de la prière, la foule a juré à Dieu sa fidélité quoiqu’il arrive et l’Esprit Saint m’a inspiré cette parole prophétique : « Après avoir été un lieu de perdition pour les âmes ce jardin deviendra le séjour de la prière et de la charité. »

Comment cela s’est-il réalisé concrètement ?

Quelques jours plus tard je découvre dans une rue de saint Saturnin un pauvre incurable que tout le monde avait abandonné. Je le prends alors sur mes épaules et je lui aménage très sommairement un refuge dans une des grottes du jardin, en attendant de lui trouver un gîte plus confortable. Petit à petit je lui amène un autre compagnon, puis deux, puis trois compagnons de misère, ainsi de suite. Je me suis mis à arpenter les rues pour trouver quelques dames charitables car il fallait bien les nourrir et les soigner. Ce fut le début de la réalisation de cette intuition que l’Esprit Saint m’avait suggérée. Petit à petit l’idée de la réalisation d’un hospice pour incurables a fait son chemin. Bien après ma mort, quarante ans plus tard, c’est le prieur des chevaliers de Malte qui fera construire cet hospice à l’emplacement même du jardin des quatre figures. C’est là que, pendant deux siècles, s’épanouira l’apostolat des sœurs de la Sagesse

Votre vie de missionnaire semblait bien enracinée dans la ville de Poitiers ?

J’ai toujours fait une totale confiance à la Providence pour savoir où diriger mes pas, je me laissais donc conduire par les évènements. J’étais conscient de ne pas m’être fait que des amis dans cette bonne ville en dénonçant le vice sous toutes ses formes, y compris de la part de gens influents comme je vous l’ai dit dans les quartiers chics. Finalement je suis devenu un véritable sujet de contradiction, il y avait les pour et les contre… Monseigneur de la Poype qui me soutenait autant que cela lui était possible, fut contraint de céder à des pressions considérables, en particulier de la part de son vicaire général, fils d’un maréchal de France très introduit à la cour de Louis XIV. Au terme d’une retraite que je prêchais aux religieuses de sainte Catherine je reçois un billet de mon évêque qui me dit : « Sortez de Poitiers » m’interdisant de prêcher dans son diocèse et me demandant de quitter au plus vite son territoire. (Extraits du livre « En haute mer »)


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