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« MONTFORT VA BRÛLER LE DIABLE » …

Bertrand Lemaire

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Montfort Va Bruler Le Diable

Votre attirance vers les pauvres ne vous a-t-elle pas conduit à délaisser un peu les quartiers chics de Poitiers?

Ce n’est pas tout à fait exact ! Il m’est arrivé de prêcher une mission de trois semaines chez les sœurs du Calvaire, l’un des meilleurs quartiers de la ville et cette mission était ouverte à tous. Ce milieu aisé révélait de graves désordres. Le « porno » comme on dit, régnait en maître ; que ce soient les livres, les lectures, les tableaux et illustrations. Tout respirait le vice. Je ne me suis pas privé pour fustiger ces excès tout au long de mes entretiens à l’église, au risque de me faire mal voir. Pour ne pas en rester aux bonnes paroles j’ai proposé que tous ces objets de scandale soient apportés devant l’église pour les détruire. J’ai souhaité les faire brûler et planter une croix sur les cendres en clôture de la mission.

Le moment venu, tout le monde était rassemblé dans l’église et j’expliquais le sens qu’il fallait donner à cette démarche ainsi que les résolutions à prendre. Pendant ce temps quelques exaltés au zèle provocateur, plantent au sommet de cette montagne de livres et de papiers une figure du démon sous les traits d’une femme mondaine du quartier. D’autres, encore plus ridicules, ont attaché des boudins et des saucisses en guise de boucles d’oreilles sur la tête du mannequin. Puis ils se sont dispersés dans les rues avoisinantes en disant : « Montfort va brûler le diable »

On ne pouvait mieux compromettre le résultat de votre mission !

Surtout qu’une Dame de haut rang, proche des jansénistes, ruminait contre moi une vengeance parce que j’avais pris sa secte à parti. Elle vint justement à passer devant l’église accompagnée d’un prêtre également proche de ses idées et un peu jaloux de moi. Aussitôt ils courent tous les deux à l’évêché pour dénoncer ce qui se préparait, en disant qu’il s’agissait d’une exhibition grotesque qui allait déshonorer le clergé et la religion. Par malheur l’évêque était absent à ce moment-là et ils furent reçus par le vicaire général relativement proche lui aussi des idées de leur secte. Il appelle aussitôt son carrosse et débarque dans l’église où je prêchais encore, juste avant d’aller craquer l’allumette ! M’ayant imposé le silence, il m’interdit sèchement de mettre le feu aux livres entassés sur la place. De plus il ne se priva pas pour prononcer des propos sévères condamnant mon action à Poitiers...

Quelle fut votre réaction ?

Je suis resté en chaire et me suis mis à genoux en silence ! A son départ, j’ai seulement dit : « Mes frères nous nous disposions à planter une croix à la porte de cette église, plantons la dans nos cœurs elle sera mieux placée que partout ailleurs. »

La suite m’a déchiré le cœur ! Tous les écoliers, les voyous et les valais qui passaient par là, se sont saisis de ces livres et les ont distribués autour d’eux. Ils ont continué à salir les âmes et c’est justement ce que je voulais éviter. Cependant la clôture de la mission fut une merveille et un succès sans précédent. Pour la messe finale, afin de manifester le pardon, j’ai demandé au prêtre qui m’avait dénoncé de faire office de diacre à mes côtés. Un autre vicaire général, un peu gêné de l’incident de la veille, a tenu à me réhabiliter publiquement. (Extraits du livre « En haute mer »)


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